Champagne Rich et Crémant d'Alsace Ice Petite Folie

 

Faits. La société Moët Hennessy Champagnes et Services (MHCS), exploitant notamment la maison Veuve Clicquot, a lancé en 2015 puis en 2016 ses gammes de champagne « Rich » et « Rich rosé », destinées à être bues sur glace ou en cocktail.

Particularité du packaging : les bouteilles étaient entièrement recouvertes d’un manchon argenté aux effets brillants ; leur promotion était axée autour de l’univers des cocktails.

De son côté, la coopérative vitivinicole alsacienne Wolfberger a commercialisé simultanément sa gamme de crémant d’Alsace « Ice Petite Folie », dont la bouteille se distinguait par un manchon de couleur effet « mat » et était présentée notamment accompagnée d’un verre de cocktail dans ses visuels publicitaires.

Estimant que la coopérative s’était délibérément placée dans son sillage en reprenant les caractéristiques de ses bouteilles et des codes utilisés dans sa communication promotionnelle, la société MHCS a assigné la coopérative en parasitisme.

Elle obtient gain de cause en première instance, mais la Cour d’appel de Paris infirme le jugement, qui ne retient pas la qualification de parasitisme. Cette dernière forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation.

 

Prétentions. Au soutien de son pourvoi, MHCS critique l’examen séparé par la Cour d’appel de chacune des caractéristiques des bouteilles en présence, sans procéder à une appréciation globale ; c’est en effet cette impression d’ensemble dégagée par les produits qui permet de conclure à un comportement parasitaire.

MHCS estime en effet être en rupture avec les pratiques du marché, par l’utilisation d’un manchon de couleur argenté. Ce faisant, la reproduction des mêmes caractéristiques sur les bouteilles ainsi que dans les visuels promotionnels de la gamme « Ice Petite Folie » démontre l’intention de la coopérative de se placer dans le sillage de ses propres gammes.

Et d’affirmer par ailleurs qu’elle avait engagé de lourds investissements, tant sur le packaging des bouteilles que sur le plan promotionnel, démontrant la notoriété particulière des champagnes « Rich ».

Dans ces conditions, la société MHCS affirme que la coopérative Wolfberger a indument tiré profit de ses investissements, caractérisant le parasitisme à son encontre.

 

Solution. La Cour ne fait pas droit à ces arguments et confirme le raisonnement de la Cour d’appel.
Elle rappelle tout d’abord qu’un comportement parasitaire « consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».

En l’espèce, la Cour relève que les manchons utilisés par MHCS sont argentés, brillants et sont à effet miroir, tandis que ceux de la coopérative Wolfberger sont métallisés et mats.

Par ailleurs, les logos apposés sur les bouteilles ne présentent pas de similitude, alors que l’habillage de type « sleeve » ainsi que le manchon argenté ont déjà été utilisés par d’autres opérateurs dès le début des années 2000. Dès lors, pour la Haute Cour, les bouteilles litigieuses présentent des différences notables.

S’agissant des campagnes publicitaires, la Cour retient que « la représentation dans les visuels promotionnels d’un verre à cocktail rond rempli de glaçons et de tranches de fruits à côté d’une bouteille sont des éléments descriptifs, banals et usuels pour présenter un vin pétillant destiné à la préparation de cocktails ».

Forte de ces constatations, la cour d’appel a justement apprécié ces éléments dans leur globalité pour en déduire que la coopérative a repris les codes du marché, qui n’appartiennent pas au champagne « Rich ».

À cet égard, la Cour souligne que « la société MHCS ne pouvait s’approprier les éléments visuels appartenant à l’univers des cocktails », lesquels ne peuvent faire l’objet d’une captation exclusive.
Il est également constaté que la société MHCS ne démontre pas la notoriété particulière des champagnes « Rich » lors du lancement en 2016 de la gamme « Ice Petite Folie » par la coopérative Wolfberger.

Ayant relevé que les deux gammes ont été mises sur le marché simultanément, la Cour exclut toute volonté de la coopérative de se placer dans le sillage de la société MHCS, dont les packagings et visuels publicitaires ne répondent qu’aux évolutions des pratiques dans le secteur du vin.

En raison de la banalité des éléments litigieux et de l’absence de notoriété des champagnes « Rich », la Cour confirme que la coopérative Wolfberger « n’avait pas cherché à s’inscrire dans le sillage de cette dernière ».

 

Observations. L’obstacle à l’action de la célèbre maison de champagne est double : d’une part, le lancement simultané de la gamme concurrente – qui n’a donc pas attendu le développement de la notoriété de « Rich » pour se placer dans son sillage ; d’autre part, la reprise par la demanderesse des codes habituels du marché des cocktails.

Ce n’est pas la première fois que l’absence d’appropriation d’éléments concernant le packaging dans le secteur des pétillants est affirmée.

Dans l’affaire « So Jennie », la Cour a considéré qu’il n’y avait pas de détournement de la notoriété de l’appellation Champagne par un opérateur commercialisant un pétillant sans alcool avec un packaging évoquant l’univers du luxe : « (…) la présence de flûtes, d’un seau à glaces ou de bulles, autant d’éléments qui ne sont pas l’apanage des seuls vins bénéficiant de l’appellation Champagne » (Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2018, nº 16/14877).

Les seuls codes usuels d’un secteur et ses pratiques marketing ne peuvent donc être un fait justificatif d’actes de parasitisme (CA Paris, 14 septembre 2022, n° 20/13260, au sujet des restaurants  » bouillon  » ; CA Paris, 7 mai 2021, n° 17/21373 – confirmé par Cass., 16 novembre 2022, n°21-21.326, au sujet de la couleur rouge utilisée par les magasins de canelés à Bordeaux).

Il n’est toutefois pas exclu que des packagings innovants puissent bénéficier d’une protection par une action en parasitisme lorsque leur notoriété est démontrée : c’est le cas, par exemple, de la cuvée Dom Pérignon dont l’opérateur ayant reproduit la forme de sa célèbre bouteille et son étiquette emblématique pour commercialiser une tirelire a été condamné pour concurrence parasitaire (TGI Paris, 12 septembre 2001, CIVC et Sté Moët et Chandon c/ Sté Soloplay : PIBD 2002, III, p. 170).

Notoriété néanmoins difficile à justifier.

Raison pour laquelle les opérateurs – dont les gammes sont ou non notoires – ont tout intérêt à adopter les bons réflexes lors de la création d’un packaging (et notamment d’une étiquette), et :

  • constituer un dossier justifiant la date de création, les investissements réalisés ;
  • s’interroger sur une stratégie de protection éventuelle au titre des droits de propriété intellectuelle dont par exemple :
    ▪ dépôt d’une enveloppe Soleau ;
    ▪ dépôt d’un dessin et modèle et/ou d’une marque.

 

Aymeric LOUVET
Avocat Associé
alouvet@klybavocats.fr

Axelle GROS
Élève-avocat

 

 

[Cour de cassation, Chambre commerciale, 4 juin 2025, n° 24-11.507]

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