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Juridique – Aymeric Louvet, Klyb Avocats

« Nom de domaine » et « mise en bouteille à la propriété » :
Des mentions détachées des impératifs de propriétés géographiques ?

 

CJUE, 23/11/2023, C-354/22

Enjeux – Dans la décision ici commentée, la Cour de justice s’intéresse aux conditions dans lesquelles un viticulteur peut vendre du vin sous le nom de son exploitation, en valorisant la mise en bouteille au domaine, alors que ce vin a été pressuré au sein d’une autre exploitation.

Au-delà de la question de la vinification, ce sont les contours de la notion même d’exploitation viticole qui se dessinent et pourraient s’écarter du lien géographique à la propriété (approche française) pour se diriger vers une approche plus « fonctionnelle ».

Autrement dit, la possibilité de vendre du vin sous les mentions précitées alors même que les raisins proviennent d’une autre exploitation et sont pressés sur place dès lors que la première « exploitation assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité » de chacune de ces opérations.

Donc une décision importante dont les effets sur l’approche française ne sont pas à exclure…


Contexte
– Un viticulteur allemand, propriétaire d’une exploitation viticole, produit et vend du vin sous les mentions « domaine viticole » et « mise en bouteille au domaine ».
Ce vin est produit à partir de raisins qui proviennent non seulement de son vignoble mais également d’un vignoble qu’il loue appartenant à un second viticulteur situé à plus de 70 kilomètres.
Au sein du contrat conclu, il est prévu que :

  • le second viticulteur cultive les vignes louées selon les instructions du premier ;
  • le second viticulteur loue chaque année au premier une installation de pressurage pour que les raisins récoltés sur le vignoble soient pressurés sur place selon ses pratiques œnologiques ;
  • le vin ainsi obtenu est versé dans des cuves transportées vers l’exploitation du premier.

Différend – Par une décision administrative, il est fait interdiction au viticulteur d’utiliser les indications précitées pour ce vin dès lors qu’il est vinifié dans les locaux d’un second viticulteur.
Le contentieux se poursuit et la Cour administrative fédérale (juridiction de renvoi) s’interroge sur le sens à donner aux notions d’exploitation et de vinification au sens du droit européen et saisit à cet effet la CJUE.

Première question – La vinification est-elle entièrement effectuée dans l’exploitation lorsque le pressurage des raisins a lieu dans une installation louée à une autre exploitation viticole ?

La CJUE répond par l’affirmative et considère que le pressurage des raisins – provenant de vignobles loués – peut avoir lieu dans une installation que l’exploitation viticole loue pour une brève période (ici 24h) auprès d’une autre exploitation viticole.

Deux conditions néanmoins :

  • cette installation doit être mise à la disposition exclusive de l’exploitation viticole pour la durée nécessaire à l’opération de pressurage ;
  • cette exploitation assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité de cette opération.

Seconde question – Pour que cette vinification soit entièrement effectuée dans l’exploitation, le pressurage de raisins doit-il être effectué par les collaborateurs de cette exploitation eux-mêmes ou bien s’il peut être effectué par des collaborateurs de l’exploitation viticole qui donne l’installation de pressurage en location, ces derniers collaborateurs étant habilités à intervenir en cas de problèmes survenant de manière inopinée dans le pressurage ?

À nouveau, la CJUE répond par l’affirmative. Le pressurage peut en effet être effectué par les collaborateurs de l’autre exploitation.

Il est néanmoins indispensable là aussi que le propriétaire de l’exploitation qui produit le vin assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité de cette opération.

Le pressurage doit donc être effectué en respectant les instructions précises du viticulteur producteur. De même, en cas de survenance de problèmes imprévus nécessitant l’adoption de décisions immédiates, ces dernières doivent être prises par ce dernier ou par les membres de son personnel et non par le personnel du loueur.

Enfin, un supplément de prix (incitation liée au rendement et à la qualité par hectolitre de vin) accordé au loueur n’a pas d’incidence sur le point de savoir si la vinification peut être considérée comme ayant été effectuée dans l’exploitation viticole éponyme.
Dans ces conditions, le viticulteur peut donc faire mention de la mise en bouteille au domaine.

 

Notion d’exploitation – Cette interprétation de la notion de « vinification entièrement effectuée dans l’exploitation », s’étend-elle à la définition de l’exploitation ?

Autrement dit, l’exploitation au sens du droit européen renvoie-t-elle à une propriété (de vignes et d’installation) au sens géographique (approche française) ou plutôt à une entreprise non liée à la dimension géographique, mais plutôt à la gestion, à l’administration et à la responsabilité du producteur à l’égard des unités utilisées pour la production ?

A priori pas de réponse expresse de la CJUE. Cette dernière précise d’abord que la question de savoir ce que recouvre la condition « d’un vin élaboré exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation » ne lui est pas posée par la Cour allemande.

Cour allemande relevant – sans que cela ne pose apparemment difficultés – que des vignobles ont été loués par le premier viticulteur utilisant les mentions précitées et sont cultivés par le second selon les prescriptions du premier.

Si elle ne répond donc pas à une question qui ne lui est pas posée, il n’en demeure pas moins que des jalons sont posés.

La CJUE précise en effet que la notion d’exploitation « doit être considérée comme étant une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière ».

Or, par renvoi des différents textes européens, la notion d’exploitation est définie comme « l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même état membre » (article 4 du Règlement (UE) n°1307/2013).

Ainsi, faisant siennes les conclusions de l’avocat général (Concl. M. Campos Sánchez-Bordona, 6/07/2023), la CJUE précise que la notion d’« exploitation » n’est pas limitée aux seules terres dont le viticulteur est propriétaire ou situées à proximité de celles-ci, mais peut s’étendre à des vignobles loués et, le cas échéant, situés à un autre endroit que celui où ce viticulteur possède. Et la Cour de s’intéresser à la phase de vinification au regard de cette analyse.

Concernant l’exploitation en tant que telle, l’avocat général avait quant à lui adopté une approche clairement fonctionnelle. Procédant à l’exégèse des textes, celui-ci avait en effet : « tout semble indiquer que, y compris en ce qui concerne le règlement délégué 2019/33, le terme « exploitation » n’identifie pas nécessairement une surface agricole unique (point 42) ».

Ce faisant, « il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que le produit que le producteur entend présenter sous la mention « Weingut » [Domaine] ait été élaboré à partir de raisins récoltés dans des vignes qui, sans appartenir physiquement à l’exploitation éponyme, sont situées sur des terres louées par le producteur ( 23 ) ».

Quant au risque d’induire en erreur le consommateur si la notion d’« exploitation » est ainsi interprétée, il n’est pas insurmontable. Il suffit en effet que « le vin soit élaboré sous sa direction, sa responsabilité et son contrôle, en tant qu’exploitant au sens fonctionnel souligné précédemment » (pt 60 es Concl.).

Aymeric LOUVET
Avocat-Gérant

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