Faits

Les Vignerons Coopérateurs de France ont soumis pour avis le 21 mars dernier à la Commission européenne un accord au titre duquel les producteurs de vins d’Occitanie et les acheteurs auraient la possibilité de se concerter sur les prix de vente en vrac de vins certifiés BIO et HVE.

 

L’objectif est double : permettre aux producteurs, dans un contexte de crise, de maintenir une production durable ; obtenir une sécurité juridique s’agissant de la mise en œuvre de ces pratiques.

 

Problème

La question posée est donc de savoir si cet accord est compatible avec le droit de la concurrence, ou plus précisément si les engagements de durabilité proposés (au sens de l’article 210 bis du règlement (UE) n°1308/2013) permettent de déroger à l’interdiction des ententes sur les prix.

 

Solution

La Commission émet un avis positif. Pour ce faire, cette dernière relève que : « dans le cadre de l’accord envisagé, afin d’encourager les producteurs à continuer de produire de manière durable, les prix d’orientation seront fixés à un niveau couvrant les coûts d’une production conforme à l’une des deux normes de durabilité pertinentes (biologique ou HVE), en plus d’intégrer une marge bénéficiaire représentant jusqu’à 20 % de ces coûts. Les prix d’orientation seront fixés sur une base annuelle pour chaque norme et pour six cépages. L’accord restera en vigueur deux ans. »

 

Et d’en conclure que l’accord envisagé remplissait toutes les conditions prévues par l’article 210 bis dudit règlement :

  • il engage des producteurs agricoles ;
  • concerne le commerce des produits agricoles ;
  • vise à contribuer à plusieurs objectifs de durabilité et à appliquer des normes de durabilité supérieures à celles imposées par le droit de l’Union ou le droit national ; et
  • n’imposera que des restrictions de concurrence indispensables à la poursuite desdites normes de durabilité.

Analyse

Pour rappel, les accords visant la fixation des prix de façon concertée entre concurrents ou à imposer entre fournisseurs et distributeurs un prix minimal de revente, caractérisent en principe caractérisés de pratiques anticoncurrentielles graves (ententes illicites au sens de l’article 101§1 TFUE).

 

Pratiques interdites et condamnées, y compris au sein du secteur vitivinicole (ADLC 24-D-07,17/07/2024 « Ubi » ; ADLC 20-D-12, 17/09/2020 « Vins d’Alsace » ; ADLC 18-D-06 23/05/2018, « AOC Côtes du Rhône »).

 

Un équilibre doit néanmoins être recherché entre d’un côté les règles de concurrence et de l’autre la Politique Agricole Commune (PAC) en tenant compte des particularités du secteur agricole. Raison pour laquelle par exemple, les Organisations de Producteurs (OP) et les Associations d’Organisation de Producteurs (AOP) peuvent s’accorder sur la production agricole dès lors que ces pratiques sont nécessaires à la poursuite des objectifs de la PAC (art 209 §1 règlement OCM).

 

Dérogation au droit de la concurrence également possible s’agissant des échanges d’informations et pratiques concertées au sein des OP et AOP sous réserve de respecter les conditions strictes prévues à l’article 152 §1 bis du règlement OCM. Une exception implicite relève également de l’arrêt Endive (CJUE, 14 novembre 2017 puis CA Paris 1er juillet 2021).

 

La mise en œuvre de ces dérogations au droit de la concurrence et des leviers effectifs dont disposent les opérateurs reste néanmoins délicate.

L’exception à laquelle prétendaient les Vignerons Coopérateurs est distincte et concerne les ententes « vertes ».

 

Autrement dit, l’admission dans une certaine mesure d’une entente sur les prix, lorsque les parties à l’accord s’engagent à appliquer des normes de durabilité supérieures à celles imposées par la règlementation et que ces restrictions sont nécessaires pour atteindre l’objectif poursuivi par l’accord (article 210 bis règlement OCM).

 

L’accord de durabilité relatif au prix d’orientation des vins HVE et BIO vendus en vrac est toujours à date couvert par la confidentialité. Ce faisant son analyse en détail n’est pas possible. Néanmoins, au regard de l’opinion de la Commission, il est possible de déterminer l’objectif de l’accord, son contenu ainsi que les normes et objectifs environnementaux qu’il entend poursuivre.

 

L’objectif de l’accord est d’encourager les producteurs de vin vendus en vrac certifiés BIO ou HVE à maintenir leurs efforts dans un contexte économique critique : offre excédentaire due à l’évolution des préférences des consommateurs vers des vins moins onéreux donc conventionnels ; achat par les clients professionnels de vin « durable » à un prix s’approchant du vin conventionnel. Indicateurs qui devraient donc automatiquement entraîner une diminution de la production de vins BIO ou HVE.

 

Afin d’endiguer les effets de la crise, l’accord prévoit la fixation d’un prix d’orientation déterminé en référence au coût total de production majoré d’une marge de 20% maximum, ce qui permettra à terme de protéger les producteurs contre des variations de coût imprévisible.

 

Concertation sur les prix via une entente à la fois horizontale – c’est-à-dire entre producteurs de vins membres des « Vignerons Coopérateurs d’Occitanie » pour les vins en vrac (Merlot, Cabernet-Sauvignon, Grenache, Cinsault, Chardonnay et Sauvignon) – mais aussi verticale, entre ces producteurs et les acheteurs représentés par l’Association régionale des négociants. Par ailleurs, l’interprofession « Inter Oc » jouera un rôle de facilitateur dans la négociation et le suivi : elle mettra à disposition les données économiques nécessaires pour calculer les prix d’orientation et participera à l’évaluation de l’efficacité de l’accord dans le temps. Le souhait d’intégrer les acheteurs vise en effet à empêcher que le prix d’orientation fixé dans l’accord soit rejeté par ces derniers lors des négociations individuelles de vente.

 

Etant précisé qu’un mécanisme de repli a été créé dans le cas où les négociants refuseraient de s’engager. Dans cette hypothèse, les producteurs pourraient procéder de façon unilatérale à la fixation des prix d’orientation, par le biais d’un accord purement horizontal et utiliser ce prix référentiel comme levier dans leurs négociations individuelles avec chaque acheteur. In fine, que l’accord final soit uniquement horizontal ou mixte, il sera animé et encadré par les organisations professionnelles (ODG, interprofession) et demeurera non contraignant (chaque vente reste conclue par un contrat bilatéral où le prix indicatif sert de base et peut donc théoriquement être négocié).

 

L’accord est prévu pour deux ans avec une date butoir en juillet 2027. Il couvrira donc les récoltes 2025 et 2026, ainsi que les stocks d’invendus des années précédentes. Par ailleurs, il est précisé que si les objectifs fixés dans l’accord sont atteints avant juillet 2027, ce dernier devra être résilié et pourra le cas échéant être allongé.

 

Afin de valider cet accord, la Commission s’assure dans un premier temps que l’accord est nécessaire en lui-même. Et de relever que les producteurs ne pourraient pas atteindre ce standard de durabilité de manière efficace individuellement. Au regard du jeu concurrentiel délétère actuel (course au prix le plus bas, personne ne couvre ses coûts et où beaucoup finissent par renoncer au mode de production durable), aucune autre mesure moins anticoncurrentielle n’apparaît efficace dans l’immédiat.

 

Dans un second temps, la Commission s’assure que le standard de durabilité est supérieur aux exigences légales en vigueur. Tel est le cas, par exemple : pour les vins BIO, les pratiques se conforment à l’utilisation de substances naturelles, à la limitation drastique des entrants chimiques et à la gestion écologique des sols ; pour les vins certifiés HVE d’imposer des indicateurs de résultats environnementaux sur l’exploitation (biodiversité, phytosanitaires, fertilisation, irrigation) avec des seuils à atteindre que la loi n’impose pas aux autres exploitants. Ce faisant, la charge financière et technique liée à ces exigences volontaires est significative.

 

En outre, si la fixation d’un prix d’orientation au niveau de la chaîne de production caractérise une restriction évidente de concurrence semble nécessaire pour permettre l’amélioration du pouvoir de négociation des producteurs et pour que ces derniers puissent continuer à investir dans leurs démarches écologiques. Ce faisant, l’accord sur un prix plancher est intrinsèquement lié au standard de durabilité.

 

Quant à la composante verticale de l’accord (relation producteurs/négociants), elle est considérée comme un complément indispensable pour maximiser les chances de succès et éviter les contournements anticoncurrentiels. La Commission souligne de surcroît que la nature même du prix d’orientation ne contraindra pas juridiquement les acteurs, mais servira à guider les ventes de vins en vrac dans ces catégories.

 

La Commission prend enfin en compte plusieurs facteurs limitatifs restreignant l’intensité de l’accord et des restrictions de concurrence : (i) la limitation à la région d’Occitanie et certains vins ; (ii) la durée limitée à 2 ans qui traduit une mesure d’urgence temporaire ; (iii) l’effet sur les prix au détail qui devrait être modéré.

 

Ces restrictions de concurrence considérées par la Commission comme nécessaires à la poursuite des objectifs de durabilité, l’accord est ainsi validé.

 

Bien entendu, cette validation est conditionnée à la véracité des informations transmises et au respect des engagements avancés. Sans quoi cette exception pourrait être retirée par la Commission. Il en irait de même si les conditions de marché venaient à être modifiées à l’avenir.

 

Conclusion

Cet avis, pionnier dans le secteur agricole, apparaît essentiel pour les producteurs de vin d’Occitanie dans un contexte de marché critique. Il sera à ce titre intéressant de vérifier les conditions dans lesquelles l’accord sera mis en œuvre (position des producteurs s’agissant des prix d’orientation, réaction des acheteurs et adaptation de leur politique tarifaire, niveau de dialogue qu’il permettra d’impulser) et ses conséquences sur les prix de vente effectivement constatés.

 

Nul doute que cette initiative occitane devrait faire des émules auprès d’acteurs en recherche d’une valorisation de leur production et de sécurisation juridique des accords y afférents.

 

Plus généralement, ce levier juridique et concurrentiel participe à la question délicate de la juste rémunération des producteurs et du prix du vin. La loi Egalim s’y est attelée avec des résultats pour le moins mitigés (contractualisation complexe sans rééquilibrage des négociations ; condamnation pour prix abusivement bas Tribunal de Commerce Bordeaux 22 février 2024, « Cardier Excel Frills »)

 

Autre voie ouverte par d’autres filières agricoles : le regroupement de l’offre, via notamment les AOP, pour essayer de contrebalancer le déséquilibre des négociations avec la grande distribution voire la concurrence déloyale de produits exportés.

Ces voies doivent être expérimentées, il en va de la survie économique de ces producteurs. Le droit de la concurrence, bien que restrictif, n’exclut pas en effet d’innover et de justifier certains comportements a priori juridiquement prohibés au regard, notamment, d’un contexte de marché particulier.

 

Aymeric LOUVET
Avocat – Gérant
alouvet@klybavocats.fr

Arthur Navarro
Stagiaire droit de la concurrence
www.klybavocats.fr

 

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