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Juridique – Aymeric Louvet, Klyb Avocats

 

Marques NewRhône déposées pour des vins bénéficiant de l’AOC Côtes du Rhône :
évocation interdite de l’appellation, marques nulles !

 

CA Paris 26/05/2023 Newrhône Millésimes /Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône, INAO

 

Parmi les décisions judiciaires, rares sont celles qui ont une incidence directe et immédiate sur la stratégie commerciale et marketing des acteurs viticoles : tel est le cas de la décision de la Cour d’Appel de Paris ici commentée.

D’abord, intéressons-nous au contexte.

D’un côté, la société Newrhône Millésimes qui vend des vins bénéficiant des appellations « Côtes du Rhône » sous marques Romain Duvernay, Romain Duvernay Domaines, Romain Duvernay Prestige.

Cette société dépose deux marques françaises :
– L’une verbale
– L’autre semi-figurative

Elle prend le soin de les déposer uniquement pour des vins bénéficiant des appellations d’origine : « Côtes du Rhône », « Côtes du Rhône Villages » y compris les Crus des Côtes du Rhône, et des autres appellations d’origines protégées de la Vallée du Rhône.

De l’autre le Syndicat général des vignerons réunis des Côtes du Rhône qui, depuis quelques années, a initié un lourd travail juridique et judiciaire pour défendre les appellations. Le Syndicat et l’INAO considérant ainsi que ces marques NEWRHONE portent atteinte aux appellations d’origine précitées saisissent le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir leur annulation.

Echec total en première instance ! Le Tribunal judiciaire de Paris rejette en en effet ces demandes et condamne les demanderesses à 7.500 euros au titre de l’article 700.

Pour ce faire, les juges retiennent que le terme « Rhône » ne constitue pas l’élément principal des appellations litigieuses. Sans la présence du terme « Côtes », ce terme renvoie dans l’esprit du public pertinent non au vignoble mais au fleuve.

Le signe NEWRHÔNE est donc distinctif ; distinctivité renforcée au sein de la marque semi-figurative du fait de la présence du « R » stylisé, agrémenté d’arabesques.

Et le Tribunal d’enfoncer le clou en constatant que de nombreuses marques intégrant ce terme ont été enregistrées pour désigner de tels vins (« RIBS & RHÔNE », « Blason du Rhône », « L’exception Côtes du Rhône », « CHAP RHÔNE » ou encore « RHÔNE ORIGINALS »), et ce sans réaction de l’INAO et du Syndicat.

Cette victoire éclatante pour la société Newrhône Millésimes n’est que de courte durée. Devant la Cour d’Appel le résultat est en effet tout autre.

Les marques sont en effet annulées, la société interdite de faire usage du signe « Newrhône » et condamnée à 8.000 euros de dommages et intérêts et 10.000 euros au titre de l’article 700.

La Cour d’appel considère en effet que l’atteinte à l’appellation d’origine est constituée si la dénomination contestée renvoie à l’appellation protégée en elle-même ou à l’un des éléments la composant.

Et la Cour, prenant le contrepied du Tribunal, de préciser :

« Un vin conforme à un cahier des charges et bénéficiant d’une appellation d’origine ne peut faire usage de celle-ci que sous sa forme enregistrée, tout autre usage n’étant pas autorisé, qu’il s’agisse d’une imitation ou d’une évocation et que cette imitation ou évocation porte sur l’un ou l’ensemble des composants d’une appellation ».

Or, ici le terme « Rhône », qui constitue l’élément dominant des AOP, est incorporé au sein des deux marques.

Les éléments figuratifs adjoints au terme « newRhône » dans la seconde marque n’y changent rien dès lors qu’ils ne font pas disparaître la perception du terme « Rhône », au contraire. La représentation des sarments de vigne enluminant le « R » de « Rhône » vient renforcer le lien de rattachement entre les vins désignés par la marque et les appellations protégées.

Ce faisant, ces deux marques seront identifiées « par le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé comme se rapportant à des vins d’appellation protégée, répondant à des critères définis par un cahier des charges ».

Enfin, l’existence d’usages ou d’enregistrements de marques illicites réalisés par des tiers est jugée inopérante par la Cour.

Observations – La décision est en apparence limpide : évoquer l’appellation d’origine pour des vins bénéficiant de l’appellation est interdit !

Mais comment expliquer un tel revirement entre le jugement de première instance et l’arrêt d’appel ?

D’abord, relevons que la solution de la Cour d’Appel de Paris s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui protège largement les appellations d’origine.

L’une des clefs de voute de ce mouvement pro appellation est la notion large « d’évocation » d’une indication géographique ; notion qui permet de sanctionner au-delà du risque traditionnel de confusion en droit des marques.

Tel a été récemment le cas dans les décisions Champanillo (cf. Veille Vinseo septembre 2021), INPI/ COGNAPEA (26/08/2022, OP22-0433) et Côtes de Provence / Coeur de Provence (TJ Nanterre 23/01/2023).

Ce mouvement – s’il s’explique par la volonté de conforter et de sécuriser les indications géographiques – génère néanmoins une insécurité juridique forte pour les opérateurs dès lors que l’on peine à délimiter les contours et surtout les limites à cette notion d’évocation.

Insécurité qui concerne au premier chef les bénéficiaires et promoteurs de l’appellation…

Nombre de marques viticoles déposées pour des vins bénéficiant de l’appellation – voire de dénominations sociales et noms commerciaux – seraient en effet concernées par cette interprétation extensive et potentiellement en risque juridique et économique.

Attention néanmoins à ne pas tirer de conclusions hâtives : chaque situation devra faire l’objet d’une analyse au cas par cas du risque en prenant notamment en compte le type d’utilisation concernée, la notoriété de l’appellation, la distinctivité des autres termes utilisés ainsi que le perception du consommateur moyen.

 

Aymeric LOUVET
Avocat-Gérant

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